LA CHAMBRE DE NATHAN La chambre de Nathan est petite,
mais comme Nathan lui-même est plutôt petit pour ses neuf ans, elle ne
paraît pas si petite que ça. C’est un peu comme si l'avait réduite
pou mieux l'adapter à la taille de l'enfant. Elle mesure un peu plus de
deux mètres de large et moins de quatre de long. La fenêtre occupe
une largeur, la porte l'autre. Contre l'un des murs, il y a le lit en
hauteur. De l'autre côté, il y a des placards encadrant l’emplacement
de la tête d'un lit de jeune fille. A sa place, on peut voir une bibliothèque
et un ordinateur Mac Classic posé sur une petite table rouge. Sous le lit en hauteur, le long
du mur, une vieille commode Ikea à quatre tiroirs dont manque celui du
bas, et un peu plus loin, face à la fenêtre, mais encore sous le lit,
qui fait une étroite loggia, le bureau d'écolier, en plaquage de bois
clair, lisse, au-dessus couleur crème, légèrement incliné, qu'on peut
soulever pour accéder au casier. En avant de la charnière, une étroite
partie plate avec une rainure pour les crayons. Là se tiennent alignés :
une petite lampe aux couleurs vives, au pied entièrement articulé, sur
le socle de laquelle ont été rangés un champignon porte crayon en bois
et un podomètre "Nature et découverte" ; un petit globe
terrestre entièrement en plastique avec à son pied, d'un côté, un
taille crayon jaune et de l'autre un morceau de craie de couleur vert pâle
d'un centimètre de long ; un cylindre porte crayons en fer blanc décoré
marqué "Dinosaurs Party", avec une paire de ciseaux et une
trentaine de crayons de couleurs, marqueurs et feutres divers dont l'un
est emmanché d'une tête de chien en matière plastique verte aux grosses
dents et à la langue pendante ; une tirelire magique, réductrice de pièces
de monnaies, originaire de la boutique cadeaux du Musée des Sciences de
la Villette surmontée d'une boussole de randonnée en laiton avec système
de visée repliable ; une boite de cent punaise cuivrées de marque "Pierrefeu"
; une petite boite de quatre crayons gras "Crayola" ; un encreur
de tampon fermé avec, dessus, un tampon "Nathan Grossmann" et
sous lequel est glissé un spécimen de permis de conduire tel qu'on en
trouve dans les porte-cartes neufs ; enfin, au coin du bureau, un cadre
ovale, en métal doré, contenant une photo de ses grands-parents
paternels, en amoureux, datant d'avant la naissance de son père.
Sur
le bureau sont posés, en piles bien rangées, divers cahiers, des
chemises et des livres empruntés à la bibliothèque municipale. Au
sommet d'une pile, une chemise de couleur vert pâle, porte, tracée de la
main même de l'enfant, la mention : "Nathan Grossmann, top
secret". Nous ne l'ouvrirons donc pas. Posées dessus, deux
enveloppes : l'une, une pochette du Musée du Louvre, contient une carte
postale du Futuroscope de Poitiers la nuit, une vue de Fort Boyard au
devant duquel croise un beau voilier, et une reproduction de l'affiche du
film "Battman for Ever" ; l'autre contient des découpages :
voitures, basketteurs, héros de bande dessinées. A côté des livres
(l'histoire de Notre Dame de Paris, le tome 16 de l'histoire de France,
intitulé "La course du roi soleil" et consacré à Louis XIV),
et seuls objets ne semblant pas avoir été rangés avec soins, un bloc
note in octavo, aux pages à petits carreaux, à la couverture blanche ornée
d'une publicité pour le Journal "Le Monde" (un montage photo
représentant une boite de sardines ouverte d'où émerge un exemplaire du
journal à moitié déplié) dont deux pages sont couvertes de notes tracés
au crayon sur les Dieux égyptiens ; un double décimètre en matière
plastique cassé, auquel il manque cinq graduations, avec les têtes des héros
de la bande dessinée "Tom Tom et Nana" qui se mettent à faire
des grimaces selon l'inclinaison ; Une petite loupe plate à moitié
sortie de son fourreau carré de cuir noir estampillé de la marque dorée
de "Nature et Découverte" ; une gomme portant le logo du
journal "Le Monde" et un dessin et un dessin humoristique de
Pessin légendé "celui qui arrivera à me dégommer n'est pas encore
né" : une pochette Mickey de couleur rouge au format carte de crédit
bourrée de fausses cartes humoristiques : carte de détective, de pilote
d'avion, décodeur universel, meilleur camarade, etc. ; deux planches de
stickers, en partie utilisées, représentant les personnages des dessins
animés de la Warner, trouvées en cadeau dans les paquets de corn flakes
Kellog's du petit dej dont on retrouve l'un, le Titi de "Titi et Gros
Minet", collé sur la façade du Mac classic posé sur la petite
table rouge et enfin un carnet de post-it et de marque-pages autocollants
de couleurs vives au logo de "Lexomil", offert par les
laboratoires Roche.
La commode, elle aussi rangée sous le lit en hauteur, contient des
vêtements, chaussettes et linge de corps, des cahiers, des feuilles
vierges. Je sais qu'il y a, dans les tiroirs, par-ci par-là, des
merveilles en disgrâce provisoire (des figurines qu'il n'a pu se résoudre
à perdre ou à jeter à la poubelle) où d'une utilisation mois fréquente
(une grosse loupe comme celle de Sherlock Holmes). Le dessus de la commode
est très encombré. Il y a d'abord la lampe, qui donne la lumière à
toute la chambre : un pied de cuivre jaune, effilé, et un verre en forme
de flamme, élégante torche, copie des année vingt ; le combiné
radio cassette d'une marque de grande surface, accompagné d'une
pile de cassettes parmi lesquelles : les "Variations Goldberg"
par Glen Gould, les "Impromptus" de Schubert par Brendel, les
"Partitas de Bach" aussi par Glen Gould, une compilation des
meilleurs titres de Serge Gainsbourg, les aventures de Simba, le roi Lion
racontées par Luc Olivier et Claude Rigal et quelques autres. Devant le
combiné, une bougie au miel en forme de ruche dont le toit, où est fichée
la mèche, a fondu en partie ; un petit dictaphone à microcassettes de
marque Sonny ; une figurine de quinze centimètres de haut représentant
un chevalier en armure debout, jambes légèrement écartées, les mains
sur le pommeau d'une grande épée dont la pointe pique le sol, posée sur
un socle noir où on peut lire, en fausse ciselure d'étain, les mots
"Malta & Gozo", tracés en gothique, souvenir des dernières
vacances de la Toussaint passées dans un hôtel "trois étoiles"
sur l'île de Malte avec son frère, sa maman et ses amis du journal ; un
chien tirelire assis sur son séant en plâtre peint des années cinquante
ayant appartenu à sa tante Danièle. Surplombant les autres objets, comme
les plus hauts gratte-ciel de Manhattan dominent le Village et l'East Side,
on peut voir : en arrière plan, une vache plate en bois découpé,
blanche à taches noires, dont le socle peint en vert vif figure l'herbe ;
plus en avant, une fusée modèle réduit qui a vraiment volé, fabriquée
à la colo de Pezay Nancroix l'été dernier, avec une ogive en balsa
contenant un parachute, décorée depuis du logo du journal et d'autres
autocollants, dressée, fière relique, sur ses ailerons en carton ; tout
à côté, un haut cylindre en plastique jaune vif, marqué "Pannini
tub", distributeur portable de Pogues, avec une agrafe pour le fixer
à la ceinture ; un peu plus loin, sur une photo collée sur carton et découpée,
Wallace, des films d'animation "Wallace et Gromit", revêtu du
mauvais pantalon, exhibe son fameux sourire crispé et lève les bras au
ciel. Les petits objets sont disséminés parmi les grands : une boite de
caviar Sevruga moyen modèle, vide, souvenir du dernier réveillon de la
Saint Sylvestre ; une toute petite charrette jaune décorée de rouge, tirée
par un minuscule âne noir en carton caparaçonné de panaches
multicolores figurés par de tout petits bouts de laine, ramenée de
Sicile il y a deux ans ; une boule de terre à modeler, sèche, représentant
vaguement une tête de bonhomme ; un mini jeu de cartes " Cent un
Dalmatiens" dans un étui grand comme le pouce, découpé dans un numéro
du journal "Mickey", un vieux santon en plâtre moulé, Gaspar
agenouillé, un petit éléphant en bois précieux, assez stylisé,
d'environ trois centimètres, issu d'un très ancien voyage en Afrique de
sa tante Danièle et ayant auparavant appartenu à son grand frère, grand
amateur de figurines d'animaux ; un petit cendrier en terre grise, de
forme irrégulière, tourné par lui-même, contenant quelques pièces
jaunes et un personnage Playmobil sans caractères particuliers, échoué
là sans raisons ; une boite transparente contient une cinquantaine de pièces
de monnaies étrangères, centavos guatémaltèques, pence anglais, lires
italiennes, penni finlandais, cents kenyans, et trois billets de une,
deux, et dix roupies indiennes. Enfin, un petit Boing 747 des
scandinavians air lines en métal côtoie un porte clés cheese-burger de
chez mac’do'.
Sur le mur, pas un centimètre carré n'échappe à un accrochage
sentimental et artistique des plus éclectiques : A savoir, reproductions
et cartes postales souvenirs, photos, affiches et affichettes. Une grande
affiche publicitaire représentant tout un monde en perspective derrière
la rampe de lancement de la navette spatiale, réalisé d'un bout à
l'autre en briques Légo, occupe une partie de la hauteur, entre le
dessous du lit et le dessus de la commode. Vers la fenêtre, on peut voir
successivement, fixés à la va vite par des morceaux de Scotch, ou plus
posément par des punaises, une carte postale humoristique représentant
un bonhomme qui nage, cigare au bec, dans une baignoire de billets de
banque, légendée "Tout va bien" ; une carte postale tirée du
film "Toy's Story" montrant les deux héros, Buzz et Woody, en
pleine conversation ; une photo de Nathan à cinq ou six ans, juché
debout sur un cube en bois coloré, chapeau haut de forme sur la tête et
cape en doublure brillante sur les épaules, appelé pour assister le
magicien, qu'on voit sur la gauche, prise, comme en témoigne le décor de
tentures rouges, de ballons multicolores et de plantes en pots, lors d'une
fête de fin d'année à l'école maternelle ; une carte postale représentant
une image de Tintin, perdu avec Milou sur l'océan, affrontant sur un frêle
esquif, une gigantesque déferlante verte à la Hokusaï ; un cliché en
noir et blanc de Nathan, à trois ou quatre mois, au visage hilare sous
une casquette blanche en tissus éponge ; une autre image de Tintin, en
ciré bleu-gris, essuyant un grain sur je ne sais quel cargo, emportant
sous son bras un Milou trempé et transi ; une carte postale de la baie de
cannes où habitaient autrefois ses grands-parents ; une autre carte
postale humoristique de la même série représentant le même bonhomme en
pyjama à rayure, étendu à plat dos sur une moitié de lit double, avec
le cœur échappé de sa poitrine au bout d'un ressort, légendée
"tu me manques" ; une carte postale montrant Donald Duck éperdu
d'amour à la lecture d'une lettre de Daisy ; une photo prise il y a cinq
ou six ans, probablement à l'intérieur du chalet de la Chaudanne, en
Savoie, où il fait le fou avec son frère, sur le lit de la pièce
commune ; une vue d'un bâtiment du Futuroscope de Poitiers, titanesque
bloc de malachite à moitié en fusion, rougeoyant dans le crépuscule, un
peu trop futuriste pour être vrai ; un sticker du joueur de Basket NBA
Karl Malone collé à même le mur ; une reproduction d'un détail d'un
tableau de Le Nain, exposé au Louvre, montrant u jeune paysan jouant du
fifre ; une affichette au format 21×27 invitant au festival du film de
l'oiseau et de la vie sauvage de la baie de Somme en Picardie du 13 avril
au 21 avril 1996, avec des grenouilles à colorier, coloriées au feutre
vert ; une carte postale d'un tableau de Michel Barthélémy Olivier (1712
-1784) intitulé "le thé à l'anglaise" servi dans les salons
des quatre glaces au palais du temple à Paris en mai 1766 t représentant
la compagnie du prince Louis François de Conti écoutant le jeune Mozart
au clavecin accompagné à la guitare par le chanteur d'Opéra Jelyotte ;
une reproduction d'un carton de dessin animé, esquisse d'une image définitive,
de la main même de Walt Disney, montrant la tête du chien Pluto ravi de
découvrir la petite tortue espiègle ; un billet d'accès au téléphérique
de l'Etna, grand comme un mouchoir, en langue italienne, utilisé le
premier Novembre 1995, collé sur le mur au-dessus d'un autre ticket, de
taille plus normale, où l'on peut lire : "Assistenza guida Alpina
Etna. m. 2900-3000", avec, en dessous, une carte postale représentant
une éruption nocturne dudit volcan en 1978, le tout attestant sans
contredit l'ascension lors du voyage en Sicile aux vacances de l'avant
dernière Toussaint ; deux cartes postales du Louvre, montrant l'une le
couvercle extérieur de Tamour Nefret, chanteuse d'Amon (vers 1080-946
avant JC) en bois stuqué, l'autre une statue en chloritoschiste du chef
du double trésor Lay de 16 cm de haut et datant de la douzième dynastie
; une photo, ou plus exactement un photomontage de deux photos de ses deux
amis, les frères Chiffmann, Antonin et Thibault, des Barres (Heurteubise
par Dracy, Yonne), en maillots de bain, prise au lac des Settons dans le
Morvan, dont celle Antonin a été griffonnée au feutre vert qui a colorié
les grenouilles ; deux tickets bleus marqués "Aiguille du midi,
altitude 3042m, Ascenseur du Piton Central, plein tarif", numéro
8946A pour l'un et numéro 89431A pour l'autre ; un casier
"d'imprimeur" en forme de maison, avec toit à double pente et
petite cheminée, dont les cases figurent des dizaines de
niches de tailles inégales, abritant, rangées à deux ou trois
par case une collection de fèves en céramique (rois mages, petit jésus
et santons divers), une figurine en plomb d'un cochon rescapé 'une ferme
es années cinquante, un livre au format Tom Pouce à la reliure délicate
et ouvragée, originaire d'une élégante échoppe d'un quartier chic de
Florence (Nathan se souvient de la chaleur étouffante de la ville en août
1994), un zèbre en bois découpé, puni seul dans sa case, un mini livre
fait d'une liasse de dessins qu'on fait défiler avec le pouce à vingt
quatre images par seconde et qui montre alors un dessin animé
rudimentaire extrêmement court, intitulé Boula Boula à la boxe ; une
photo de Nathan à six ans, sac à dos, sur le chemin côtier de Belle Ile
en mer (port Goulphar ou la pointe des poulains) faisant une grimace à
l'objectif ; le même à trois mois, en noir et blanc, allongé baveux et
coquin sur la table à langer (la photo a été tournée d'un quart de
tour de manière à le montrer vertical) ; une autre reproduction d'une
image de Tintin, suivi du capitaine Haddock et des Dupont-Dupond en
costumes de marin explorant une jungle somptueuse ; un montage de différents
stickers de basketteurs parmi lesquels Johnson, Hardaway, Barkley, etc. ;
une reproduction de la dentellière de Vermeer ; une autre d'un profil d'
Arcimboldo, intitulé l'été, tout en fruits et légumes luxuriants,
provenant de la carterie du Musée du Louvre ; un billet de la "Hell's
Bank", d'une valeur de five thousand Tollards, aux motifs asiatiques
vert-délavés ; une invitation à l'anniversaire de Michael Thomas, plus
ou moins abstraite ; une carte postale de Tintin et Milou, en apesanteur
et en scaphandres spatiaux ; enfin, l'image d'un ours entouré de signes
cabalistiques figurant la constellation de la Grande Ourse, reproduction
conservée à la British Library, extraite d'un manuscrit daté de 1301.
L'encadrement de la fenêtre, quoiqu'un peu moins chargé, n'échappe
pas à la fièvre décoratrice. A gauche, sur une étroite bande du mur,
une carte postale d'un chimpanzé en Marcel faisant des haltères surmonte
une photo d'un clavecin de Bologne datant de 1667 décoré de vues de la
mer et de la montagne, qu'on peut voir à la cité de la Musique à la
Vilette, sous laquelle est accroché un petit crucifix en zinc, ancien, récupéré
lors de fouilles aventureuses de la maison abandonnée du Monal au bout du
chemin e la Cascade à Queige. Dessous, fort à propos, une reproduction
des noces de Canna du Louvre surplombe un sticker d'avion supersonique qui
lui-même survole un pense bête des tables de multiplication sous forme
de tableau à double entrées. A droite, où le bout de mur est un peu
plus large, on peut voir, de haut en bas, une affiche des éditions Bayard
Presse, annonçant "Les enquêtes de l'inspecteur Bayard",
montrant un dessin à la ligne claire dudit inspecteur et de la petite héroïne
qu'il tente de protéger, surpris par le puissant halo d'une lampe torche,
au fond d'un garage délabré (affiche déchirée du bonhomme Michelin au
mur, flaques d'huile de vidange sur le sol bosselé), ramenée du salon du
livre 1995 ; un gros Père Noël en carton articulé, qui lève les bras,
écarte les jambes et roule des yeux quand on tire sur une ficelle, et
dont l'abdomen, détail choquant, est remplacé par cinq rangées de
petits tiroirs ouverts, décorés de figures de dessins animés, ayant
chacun contenu de petits chocolats au lait dégustés lors de l'avant du
dernier Noël ; Un cactus de Western, presque grandeur nature, en carton
alvéolé vert-foncé découpé, posé sur le parquet, appuyé au mur et
portant le logo d'Arte.
Dans l'encoignure de la fenêtre, à gauche il n'y a rien. Le côté
droit est occupé par une bande graduée d'environ 1m 80, qui est une
toise offerte par le journal Mickey au moment de la sortie du film "Space
Jam" avec la face réjouie de Bugg's Bunny à la base, et celle non
moins hilare ne Michael Jordan au sommet.
Les placards du mur de droite, encadrant l'espace de la bibliothèque
et la table du Mac, sont décorés de moulures ouvragées. Les plus hauts
contiennent quelques objets de puériculture et des caisses de jouets en
attente des prochaines générations, les autres les vêtements de tous
les jours. Une des deux penderies n’en est pas une : la porte entrebâillée
laisse apercevoir le radiateur curieusement dissimulé là. Sur la porte,
toujours l'affichage. Un dessin au feutre représente Buzz l'éclair, héros
de Toy's Story, flottant au milieu des étoiles. Juste au-dessous, une
double page du journal Mickey le montre au naturel, si on peut dire, avec
tous ses amis du film.
Une bibliothèque en bois blanc verni fait suite, dans l'ancienne
alcôve, à la penderie. Le rayon supérieur est rempli de grands livres :
bandes dessinées et quelques livres d'art pour enfant. Sur la tranche de
la tablette est punaisée un page de calepin ou l'inscription énigmatique
"Palais de Safire" est entourée d'étoiles dessinées bleues et
or. Le rayon de dessous est le rayon scientifique. On peut y voir : un
petit microscope ; quelques livres de la collection "Secrets"
(les illusions d'optique, les secrets des anamorphoses) empilés sur un
catalogue Sonny de toutes les œuvres enregistrées de Mozart et sur un
classeur de fiches Mickey en plastic rouge ; une collection de pierres précieuses
disposées avec art (géode, améthyste, cristal de roche, quartz,
minerais divers, petits fossiles, ammonites et coquillages millénaires
ramenés de la Montagne aux Alouettes dans la Forterre lors d'une expédition
dirigée par Madeleine, de Villiers Saint Benoit, Yonne), au milieu de la
collection, deux capsules jaunes de Schweeps et quelques pogues en relief,
apportent une touche insolite ; deux petits flacons avec petits bouchons
de liège, emplis l'un de pyrite de fer, l'autre de copeaux de feuilles
d'or en suspension dans du liquide ; une boite ronde au couvercle
grossissant pleine de petits coquillages ; trois boites empilées, dont
deux complètent la collection de minéraux, l'une de pierres du massif
central, l'autre de gemmes
plus exotiques venue de "Nature et Découverte" ; la troisième
ne contient rien mais est là pour elle-même : C'est une boite en carton
bleu-nuit et ocre clair, achetée lors d'une promenade avec son père dan
le quartier Mouffetard, décorée d'éléphants gris perle à pois et de
flots blancs entrelacés portant les mentions "keepsake" et
"forget me not" en belle écriture cursive ; un mini cactus en
pot où est fiché un marque verre en forme de perroquet multicolore, posé
sur une soucoupe semée de petits cailloux. Le rayon central est le rayon
des merveilles. Là est présentée la collection d'objets Kinder
Surprise, à savoir, schtroumfs, petites voitures, charrettes tirées par
toutes sortes d'animaux, hippopotames bleus ou rouges dans toutes les
positions, cochons, crocodiles souriants, mini-puzzles, tous nés d’œufs
en chocolat au lait. On y trouve aussi une dizaine de volumes de la
collection Folio Benjamin rangés sur une boite de Pier Import, en bois, décorée
d'une vache blanche à taches noires (ou l'inverse) et qui broute le vert
anglais sur laquelle elle est peinte. A l'autre coin du rayon, une autre
boite (Nathan, on l'aura deviné, est un amateur de boites), très élégante.
C'est une boite rectangulaire, aux coins arrondis, métallique, de couleur
noire et vert-foncé, elle a contenu jadis une bouteille de Glenfiddich.
Elle sert maintenant de siège à trois oursons en peluche joyeux et serrés
les uns contre les autres. Non loin, un hologramme de Battman, récupéré
dans une boite de kellog's Smacks, un petit cadenas en métal bleu sans sa
clé et une boite d'un jeu de cartes de la Guerre des Etoiles, "Le Défi
du Jedi". Les rayons du bas sont occupés en grande partie par les
livres : Folio junior, benjamins, Ecole des loisirs, au devant desquels
une maquette en papier du Brick Brigantine de 18 canons de 1838 fend les
flots toutes voies dehors. Il y a aussi la collection des albums
"J'aime lire", au dos rouge et bigarré, contenant les histoires
de Tom Tom et Nana devant lesquels sont rangés un petit harmonica
diatonique et une jolie flûte à bec baroque offerte dans le magasin où
sa cousine Giulia avait acheté sa flûte traversière. Tout en bas,
encore un rayon de livres rangés derrière une boite en métal de Chuques
du Nord, spécialité du Pas de Calais, pays des géants et des beffrois,
rapportés récemment par sa mère d'un congrès des HLM. Dans un
coin, un Pinnochio en bois articulé se cache derrière le petit Larousse
et le Dictionnaire de Français du Collège.
Le mur de l'ancienne alcôve, au-dessus de l'ordinateur, porte un
grand dessin au pochoir à thèmes végétaux récupéré le dernier jour
de la colo de l'année dernière, le calendrier de Postes de l'année 1997
avec une photo en couleur d'un petit chien chien sur son couffin, une
carte postale montrant les joyeux ébats de jeune chiots et chatons que
les grands-mères envoient pour les anniversaires, une pub pour les jouets
K'nex et un billet du Match du Championnat de France de Football
Auxerre-Marseille auquel il a assisté l'été dernier au stade Abbé
Deschamps avec son grand frère et son père (0 à 0). La petite table
rouge qui porte le Mac, derrière une petite chaise de métal jaune
citron, est peu encombrée : un tapis de souris bleu ciel avec petite
calculatrice incorporée et une boite de disquettes HD. Le Mac est égaillé
par un autocollant de Titi, comme on l'a déjà dit. Posée dessus, une
carte de vœux Pop Up, de la dernière nouvelle année, figure l'explosion
figée d'une bombe surprise, pleine de serpentins et cotillons.
Sur le côté de la deuxième penderie, qui termine l'encadrement
de l'ancienne alcôve, on peut voir deux reproductions de gravures
originaires de la librairie du Muséum d'Histoire Naturelle. L'une montre
un éléphant d'Asie (Eléphas Maximus) dessiné par Nicolas Manchiel en
1794, l'autre une famille de koalas (Koalas Phascolas) sur un Eucalyptus,
œuvre délicate de Nicolas Huet, peintre animalier de 1779 à 1830. La
porte de la penderie est, elle, dévolue au musée du Louvre : les noces
de Canna (en plus grand), le quartier de bœuf de Rambrandt et le maître
d'école de Von Ostade avec sa ribambelle de mioches en plein chahut.
La porte de la chambre fait face à la fenêtre. A sa gauche,
surmontant un mini panneau de Basket dont le panier a depuis longtemps été
arraché, une grande affiche bleue à la gloire des bus de Malte, intitulée
"Old Maltese Buses" montre douze capots et douze calandres de
camions des années quarante, chromés et caparaçonnés comme des éléphants
de Maharajas. Plus bas, (et même trop bas) un petit porte manteau en bois
dont les patères rouges ne portent plus que des sifflets et des porte-clés.
L'oiseau Zazou du dessin animé le Roi Lion, collé sur un mur non loin,
ne vient jamais s'y poser. Sur la porte, quand elle est fermée, le grand
méchant Jabba de la guerre des étoiles, inquiète toute la pièce depuis
son grand poster des images Pannini. Sur le pan de mur à droite, une
affiche de la campagne antitabac représente un joueur de tennis, une
balle fichée dans chaque œil et néanmoins de très bonne humeur. Une
bulle dit : "Tu ne m'avais pas dit que tu avais arrêté de
fumer" et la morale inscrit ses gros caractères au bas de l'affiche
: "l'énergie, c'est pas fait pour partir en fumée". Dans ce
coin de la pièce, on peut voir la trace d'une ancienne applique d'angle,
attestée par les fils électriques qui sortent du mur et les dominos,
devant laquelle a été suspendue une marionnette à fils du Roi Charles V
de Bohème, barbe noire et manteau d'hermine, ramenée par son père d'un
voyage à Prague quatre ans auparavant.
Reste encore à mentionner une affiche de Star Wars avec Luke
Skywalker émergeant l'épée laser au poing du logo du film, un diplôme
tout bleu des 30èmes jeux du Val de Marne, décerné à Nathan Grossmann,
et un échafaudage de trois panières en plastique rouges remplies de
Playmobils et pièces de Légo dépareillées pour que le regard achève
le lent panoramique à trois cent soixante degrés et revienne se poser
sur le pilier de bois qui soutient le lit en hauteur.
Mais en ce moment même, tout une armée de chevaliers Lego
impeccablement alignés, avec ses machines de guerre, onagres et trébuchets,
attend sur le parquet désert de donner l'assaut au château du Dragon
qu'on ne distingue pas dans le lointain. Juillet-Aout 1997
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